[Ressource] Trop jeunes pour s’exprimer : qu’est-ce que l’infantisme ?

Dans le cadre des discussions de l’enfance, « L’enfant : un sujet de droits », qui se sont tenues le mercredi 26 mars 2025 au Forum de l’IRTS de Lorraine à Nancy, Dominique Rolin est intervenu sur la thématique de l’infantisme.

Par son parcours, Dominique Rolin a pu acquérir une expérience en matière d’atteintes aux droits de l’enfant et constater l’entrave régulière à ce qu’ils peuvent dire d’eux-mêmes et par eux-mêmes, sans pouvoir nommer pour autant ce constat.

Découvrant la notion d’infantisme lors d’un colloque organisé par le COFRADE en 2023, Dominique Rolin s’est emparé du sujet à l’occasion de l’échange organisé par l’IRTS de Lorraine où il y a partagé ses lectures sur le sujet, d’une part et, d’autre part, sur l’un des rapports du Défenseur des Droits portant sur la prise en compte de la parole de l’enfant entendu comme un droit pour lui et un devoir pour l’adulte.

Dominique Rolin
Délégué du Défenseur des Droits – Référent Droits de l’Enfant en Moselle

Bénévole et membre du conseil d’administration de l’EPE Lorraine

Retour sur l’essentiel de cet échange, découvrez ce qu’il faut en retenir :

1 – Qu’est-ce que l’Infantisme ?

Le postulat de départ est que la parole de l’enfant est souvent négligée, dénigrée, discriminée. On peut y voir encore les traces d’une culture patriarcale où les enfants comme les femmes n’avaient un droit à la parole que sous l’autorité des hommes. Et si les femmes ont gagné (et il y a encore du chemin à faire) un droit à la parole, en revanche concernant les enfants tout est encore à faire !

D’où le concept d’« INFANTISME » qui désignerait cette discrimination systémique à l’égard des mineurs fondée sur la croyance que ceux-ci sont placés sous la domination des adultes. La parole des enfants s’en trouve dégradée car peu ou pas assez prise en considération en général.

Comme le rappelle Laelia BENOIT, le sort réservé à Greta THUNBERG, manifestant durant l’été 2018 devant le Parlement suédois à l’âge de 15 ans contre l’inaction face au changement climatique, est révélateur. En novembre 2018, elle lance la grève scolaire pour le climat. Elle fut vilipendée, raillée, discréditée par une partie de l’opinion, bien relayée par certains médias et réseaux sociaux pour simple motif qu’elle est jeune, mineure et fille de surcroît, faisant oublier son message de lanceuse d’alerte écologique comme un caprice d’adolescent.

Cette notion, véritablement apparue dans les années 2000 au sein des universités anglo-saxonnes de recherche sur l’enfance, est nommée « CHILDISM » et traduit en français en « INFANTISME ». Le parallèle proposé est celui du féminisme, à savoir de considérer les enfants comme un groupe minoritaire et marginalisé par les adultes. Cette notion caractérise un ensemble de préjugés systématiques et de stéréotypes touchant les enfants.

Par exemple : « Tu comprendras quand tu seras plus grand » : cette phrase est souvent prononcée par les adultes, alors que ne pas avoir la même expérience de vie que les adultes ne signifie pas être trop jeune pour avoir un avis.

Soulignons que nous sommes tous, plus ou moins, traversés à notre insu par ces stéréotypes, même en se pensant bienveillant vis-à-vis des enfants. L’idée généralement partagée, même inconsciemment, est que les enfants doivent se soumettre à la domination des adultes au nom des impératifs de protection et d’éducation.

Dans le même temps, la protection des adultes est régulièrement remise en cause en raison des comportements observés auprès d’une partie des enfants, notamment les adolescents, jugés tellement incontrôlables que certains estiment que l’excuse de minorité ne devrait plus être admise.

Autrement dit, dans un cas, l’expression des enfants sur des sujets citoyens ne serait pas légitimisée car ces derniers feraient preuve d’immaturité, mais dans un autre cas, notamment sur le plan de la délinquance, leurs actes seraient paradoxalement pris en considération car les enfants seraient jugés matures et conscients de leurs actes.

Comme le dit en ce cas Eric DELEMAR, Défenseur des Enfants adjoint, les pouvoirs publics portant haut les droits de l’enfant renient à ces adolescents le droit à l’enfance : « Certains portent haut les Droits de l’Enfant tout en reniant le droit à l’enfance pour quelques catégories de jeunes indésirables »

Afin d’éduquer et de contrôler les enfants, il convient de normaliser leurs comportements. Les espaces de normalisation s’incarnent à l’école, au sein des familles, des structures de protection de l’enfance. Toutefois, ces lieux sont aussi souvent ceux où la parole et l’expression de l’enfant risquent, au mieux, de ne pas suffisamment être prises en considération et, dans le pire des cas, d’être négligées, ignorées, voire de ne pas exister. Comme si, seuls, les adultes détenaient la clef de l’intérêt supérieur de l’enfant sans que les enfants y soient associés en faisant valoir leur droit à la parole ou d’avoir leur propre opinion.

A ce stade, il est intéressant pourtant de rappeler que :

Sur le plan des Droits Fondamentaux, celui portant sur le droit d’expression des enfants est clairement affirmé pourtant, dans la réalité, il peine à se concrétiser et à être pleinement respecté.

2 – Prendre en compte la Parole pour l’Enfant : rapport du Défenseur des Droits 2020

Chaque année, à la date anniversaire de la CIDE, Le Défenseur des Enfants publie un rapport annuel portant sur un une thématique spécifique, relative aux droits de l’enfant. Depuis 2019, les enfants interviennent et participent en tant qu’expert et, dorénavant, leurs propos ne sont pas noyés dans ceux des professionnels mais mis en relief et miroir de ce que comprennent et préconisent les adultes.

D’après le rapport annuel de 2020 portant sur le Droit à la Parole de l’enfant entendu comme un devoir pour l’adulte, les enfants remarquent :

Certains d’entre eux soulignent : « Souvent, l’avis de l’enfant ne compte pas pendant un divorce. Nous ne sommes pas assez écoutés par les magistrats ou sur des sujets qui concernent notre propre vie ».

A ce sujet le Défenseur des Enfants propose depuis longtemps que l’assistance d’un avocat devrait être obligatoire dans les procédures civiles où les enfants sont concernés.

Or, comme l’a souligné le Défenseur des droits dans son rapport annuel sur les droits de l’enfant de 2019 : ne pas prendre en compte la parole de l’enfant représente une forme de violence au-delà d’être discriminante.

Le Défenseur des Droits confirme, plus généralement, un manque de considération à l’égard de l’enfant et de ses opinions. L’enfant est souvent considéré comme un être fragile et vulnérable, un individu en devenir, incapable d’user de sa raison pour se forger ses propres opinions et qui ne dispose pas d’assez de connaissances pour intervenir dans les décisions qui le concernent.

L’intérêt supérieur de l’enfant et son droit à participer à toute décision le concernant sont intrinsèquement liés. Il faut donc considérer l’enfant comme un expert et lui permettre de participer aux décisions qui le concernent. Cela permettrait aux plus jeunes d’exercer leurs droits au quotidien et de les préparer à devenir des citoyens responsables. L’attention portée à l’enfant, à l’expression de ses émotions, de ses besoins, les échanges réciproques d’informations ainsi que l’écoute de ses opinions, jouent donc un rôle déterminant pour son bien-être et son épanouissement au sein de la famille comme au sein des institutions scolaires et éducatives.

De la participation symbolique à la participation effective des enfants à leurs droits, l’État doit prévoir des dispositifs de recueil de la parole de l’enfant adaptés à son âge et à ses besoins. Or, les dispositifs de participation collective ne sont pas systématiquement mis en place. Par exemple, les conseils municipaux, départementaux et régionaux d’enfants ou de jeunes (CME, CDE, CMJ, CDJ, CRE, CRJ) se développent depuis les années 1970. L’UNICEF constate que 2000 municipalités sur 36000 disposent d’un Conseil Municipal des Jeunes. Cette situation est d’autant plus préoccupante que, si certains de ces dispositifs se révèlent inefficaces et inutiles car ils ne semblent pas fonctionner où peinent à le faire, d’autres ne sont constitués que d’enfants de certaines classes sociales ou issus de cercles rapprochés des élus, biaisant ainsi la diversité sociale et la représentativité. Si cette liberté peut être vectrice d’innovation en matière de participation des enfants pour certaines communes, il se peut également que la disparité et le manque de stabilité des pratiques nuisent à leur efficacité.

Lorsque des dispositifs sont mis en place, ils ne sont donc pas suffisamment variés et demeurent inefficaces et peu accessibles aux enfants. Ils ne sont pas non plus suffisamment inclusifs et représentatifs. Les enfants les plus vulnérables (enfants en situation de handicap, enfant malades, enfants en situation de vulnérabilité économique, enfants pris en charges en protection de l’enfance, enfants les plus jeunes) sont exclus de l’exercice de leurs droits, aussi bien à une échelle individuelle que collective.

Pour éviter ces discriminations, le rapport du Défenseur des Enfants affirme nécessaire d’augmenter la représentativité des enfants sur tout le territoire pour considérer leur parole et inclure les plus vulnérables et permettre une participation paritaire. À ce sujet, il édicte 17 recommandations qui convergeront avec celles de l’UNICEF.

Cet article s’appuie sur l’intervention de Dominique Rolin, réalisée à l’occasion des « Discussions de l’Enfance » tenues au Forum de l’IRTS de Lorraine à Nancy.

Dans le cadre de la Semaine Nationale de la Petite Enfance qui s’est tenue du 15 au 22 mars 2025, l’EPE s’est intéressée au jeu le temps d’une conférence.

Accessible à tous, cette rencontre était animée par le psychologue clinicien Adrien Blanc qui, à partir d’une approche mêlant les neurosciences et la psychanalyse, nous a présenté le jeu sous un angle psychologique.

Découvrez les principaux enseignements à retenir de cet échange :

Adrien Blanc
psychologue clinicien

Selon Adrien Blanc, le jeu se trouve dans le rapport que nous entretenons avec l’inattendu et le hasard. Il a une influence sur nos comportements, nos pensées et nos interactions interpersonnelles. Une partie de jeu nous offre la possibilité de changer notre perception et notre compréhension du monde, créer du lien avec ce que nous ne pouvons contrôler au quotidien, et rassurer nos angoisses qui y sont liées. Grâce au jeu, nous pouvons (re)trouver du contrôle et du pouvoir d’action sur notre réalité : “Je connais le jeu, je maîtrise ses règles, je peux agir directement dessus”.

Les types de jeux

On distingue 3 types de jeux :

Le jeu primaire

Ce jeu est caractérisé par le plaisir immédiat, la découverte personnelle de l’environnement qui nous entoure. Il est à la fois en lien avec nos sensations, notre compréhension et notre expérimentation.

Par exemple : On a déjà tous tes vu un.e enfant qui fait tomber un objet de sa chaise haute. En réalisant cela, l’enfant va se rendre compte que l’objet peut être ramassé par une personne présente à ses côtés et par conséquent le récupérer. Aussi, plus il va jeter cet objet au sol, plus il verra que l’objet tombe à différents endroits et comprendra, expérimentera son environnement.

En passant par l’expérimentation, l’enfant va constater le lien entre ses comportements et l’environnement qui l’entoure.

Le jeu secondaire

Ce jeu est pensé et crée par une personne tierce. Il nous permet de partager, communiquer, intégrer, apprendre et comprendre des règles.

Par exemple : Se retrouver autour d’une partie de jeu de société comme le Uno. D’ailleurs, le Uno est un jeu auquel beaucoup de personnes ont déjà joué… sans lire les règles !

On comprend alors que grâce aux moments partagés en jouant à des jeux, nous pouvons communiquer et transmettre des règles propres à chaque groupe.

Le jeu relationnel

Ce jeu est en lien direct avec les interactions sociales et l’expérience collective du jeu.

Par exemple : Une partie de cache-cache dans laquelle nous nous amusons à nous cacher, à trouver les personnes avec qui nous jouons, et surtout pour les enfants : à être retrouvé.e.s ! En jouant à cache-cache, nous renforçons le lien que nous partageons avec l’enfant, son lien avec l’environnement, tout ça grâce à la spontanéité du jeu !

Le jeu évolue tout au long de notre vie : de notre plus jeune âge à la fin de nos jours. Des scientifiques ont émis l’hypothèse que, dès le stade embryonnaire, nous pouvons être amenés à expérimenter le jeu. Cette hypothèse a été émise à la suite de l’observation suivante :

Un embryon, à la suite de l’intrusion d’une goutte de sang dans le placenta, a donné l’impression de jouer avec cette goutte de sang comme s’il s’agissait d’un ballon.

Cette observation a mis en avant que nous nous différencions de notre environnement dès la vie intra-utérine. Puis, une fois né.e.s et tout au long de notre vie, nous expérimentons le jeu à l’aide de nos différents sens : le toucher, l’odorat, le goût, l’ouïe, la vue. Nos sensorialités nous permettent de traduire le monde et de le comprendre de différentes manières.

Grâce à l’expérimentation des trois niveaux de jeu, nous pouvons tout au long de notre vie accéder à cette différenciation et ainsi nous construire en tant qu’individu.

Conclusion

Adrien Blanc nous a montré l’importance de laisser place à notre envie de jouer ! Ainsi, par le jeu et son expérimentation, notre pensée et notre identité se construisent et se structurent, à tout âge de la vie !